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enfants & adultes - Page 2

  • Cendrillon et les talons aiguilles (4)

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    Sa valise à la main, Cendrillon se sentit perdue.

    Le sortilège de sa marraine l'avait expédiée devant une immense gare, dans un univers chaotique où tout était nouveau pour elle et où tout lui sembla hostile. Dès le premier abord, une odeur atroce la fit suffoquer. Elle toussa et  plissa son joli nez. Des larmes lui montèrent aux yeux et il lui fallut un temps pour respirer à nouveau normalement. Comment les gens qui vivaient ici pouvaient supporter cette puanteur ? Ce n'était pas tout ! Des bruits atroces jaillissaient de toutes parts ! Des carrosses tirés par aucun cheval mugissaient, crissaient, klaxonnaient. Des cris insupportables, des sons stridents, des exhortations diverses se mêlaient dans une cacophonie indescriptible. Ses oreilles en furent offensées. Des passants se pressaient, la frôlant presque. Ils  allaient, venaient, s'arrêtaient, repartaient, gesticulaient. Bref, une agitation extrême entourait notre héroïne.

    Une peur panique étreignit la jeune fille. Son cœur sombra au fond de sa poitrine.  Soudaine, la solution de la Fée-marraine lui parut absurde et ridicule. Elle-même se sentit ridicule. Quelle idée vraiment, de quitter son Prince, le palais, son bien-être pour se lancer dans un monde inconnu ! Découragée, elle regretta son empressement. Il aurait mieux valu qu'elle restât là où elle était, chez elle ! Désormais, il était impossible de revenir en arrière. Restait à souhaiter que le délai du sortilège passe le plus vite possible pour la ramener dans son monde.  Rassérénée quelque peu à cette réflexion,  Cendrillon fit deux-trois pas en avant. Elle hésita. Que faire ? Où aller ? Elle ne connaissait ni l'endroit ni personne.

    « Tout de même, pensa-t-elle.  Je ne peux pas rester plantée ici ! Je dois faire quelque chose ! Commençons par trouver un endroit où loger, puis, j'aviserai. »

    Serrant la poignée de sa valise, Cendrillon s'avança courageusement vers la première personne qui lui sembla digne de confiance, une dame d'un certain âge assise avec son chien sur un banc.

    « Excusez-moi, Madame, dit-elle d'une voix tremblante. Je suis étrangère ici, je ne connais personne et je voudrais trouver un endroit où loger provisoirement. Pourriez-vous m'aider ? »

    La dame examina son interlocutrice suspicieusement. D'où débarquait-elle ? Ses vêtements bien que correctes étaient affreusement démodés. Ses chaussures portaient des boucles brillantes ridicules et sa valise paraissait d'un autre siècle.

    « Je cherche un endroit où loger. Pourriez-vous m'aider ? » répéta plus fort Cendrillon croyant que la dame ne l'avait pas entendu.

    « J'ai compris, répondit la vieille femme. D'où sortez-vous accoutrée de la sorte ? On dirait que vous allez à un carnaval ! »

    - Pas du tout ! Dans mon pays tout le monde s'habille ainsi.

    -Ah ! Alors vous devez être de très loin, dépondit la vieille femme en examinant encore les vêtements de Cendrillon. J'aurais parié que vous vous êtes déguisée. Vous feriez mieux de changer de style si vous ne voulez pas avoir des ennuis.

    -Vous croyez ?

    -J'en suis sure ! N'avez-vous rien d'autre à vous mettre ?

    Cendrillon observa les habits de la dame, puis regarda les passants. Parmi eux des femmes. Elles portaient des jupes courtes qui laissaient voir leurs jambes sans une once de gêne. D'autres portaient des vêtements masculins mais personne ne paraissait s'en formaliser. Leurs chaussures avaient des formes et des couleurs variées. Elles avaient les cheveux coiffés librement, portaient des sacs et des bijoux et semblaient pressées et affairées. Cendrillon posa se valise, s'assit près de la dame et regarda ses propres habits.

    « C'est que... je suis partie précipitamment, murmura-t-elle accablée. Je ne m'attendais pas à ça ! Je me sens complètement perdue. Je viens d'arriver dans cette ville. Je n'ai pas où aller. Je n'ai personne vers qui me tourner. Pas moyen de rentrer chez moi avant un certain temps. »

    Devant son innocence, son air désemparé la dame eut pitié de Cendrillon.

    « Ecoutez, je ne vous connais pas, mais vous m'avez l'air d'une brave fille. Je vous propose de m'accompagner chez moi. Vous me raconterez votre histoire devant une tasse d'un bon chocolat. Je pourrais peut-être vous aider. Qu'en dites-vous ? »

    N'ayant pas d'autre solution, Cendrillon accepta avec gratitude. Elle suivit donc la dame chez elle dans un petit appartement non loin de la gare. Assise dans le minuscule salon de la vieille dame, sa tasse de chocolat dans une main et un beignet dans l'autre, Cendrillon raconta tout à sa bienfaitrice qui insista pour que Cendrillon l'appelât  par son prénom. Après l'avoir écouté attentivement, Giselle -c'était le prénom de la vieille femme- dit à Cendrillon.

    « Ton histoire est invraisemblable mais je te crois. Je vais bien t'aider. En attendant que le sortilège se termine, tu peux rester ici. Ce sera amusant ! Tu agiras à ta guise jusqu'à ce que tu rentre chez toi. Ne raconte à personne qui tu es vraiment et ce que tu fais ici ; les gens  te prendraient pour une folle et t'enfermeraient dans un asile ! Avant tout, il faudra te trouver un autre nom et une histoire qui te ferra passer pour quelqu'un de normal. »

    Cendrillon acquiesça. Elle faisait confiance à sa nouvelle amie.  Ainsi, elle accepta que Giselle l'aidât. Elle s'appellerait désormais Cendrine Grosjean et serait la petite fille de Giselle.

     

  • Cendrillon et les talons aiguilles (3)

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    Un soir où  le sommeil tardait à venir, Cendrillon quitta son lit. « Inutile de rester allongée, pensa-t-elle. Je vais prendre un peu l'air. » Sur la pointe des pieds, Cendrillon alla vers une porte fenêtre qui donnait sur le balcon de sa chambre,  l'ouvrit et  sortit  à l'air frais de la nuit. Le ciel était limpide. Les étoiles brillaient  au-dessus de sa tête. Cendrillon se pencha et regarda les astres, perdue dans ses pensées. Fermant les yeux, elle respira profondément l'air pur. Elle souhaita que quelque chose changeât dans sa situation. A peine son souhait formulé, qu'elle entendit un léger tintement comme le son d'une clochette de cristal. Intriguée, Cendrillon regarda l'obscurité autour d'elle  et vit une lumière argentée s'approcher rapidement. Peu après, devant ses yeux ébahis, se tenait sa marraine, la Fée. Cendrillon s'inclina gracieusement devant elle. Sa marraine ouvrit ses bras et la jeune princesse s'y réfugia avec émotion. Les effusions des retrouvailles terminées, Cendrillon invita sa visiteuse à entrer dans son boudoir de peur que quelqu'un les surprît.

    «  Marraine chérie ! Que je suis contente de vous voir !

    -Moi de même, mon enfant. Cela fait longtemps que je ne t'ai pas vue.

    -C'est vrai, chère marraine, depuis la cérémonie du mariage ! Que me vaux le plaisir de votre visite à une heure pareille ?

    -A toi de me le dire ! J'ai entendu ta prière. Que se passe-t-il ? N'es-tu donc pas heureuse avec ton Prince ?

    - Si, si ! Il ne s'agit pas de cela, chère marraine.

    -Qu'est-ce donc ? Tu peux tout me dire. Ouvre ton cœur. »

    Cendrillon expliqua en détails son profond ennui et poursuivit.

    « Je sais que d'autres me blâmeraient dans ces circonstances et me jugeraient ingrate. J'ai tout ce que je peux désirer, voire plus encore !

    -Alors ?

    - Alors ? Voyez-vous marraine chérie, au palais chacun pense à mon bien-être, à mon bonheur ; ils prennent soin de moi, ils m'aiment et me respectent. Sauf ...

    - Sauf ? demanda la Fée avec un léger sourire.

    - Ne croyez pas que je n'apprécie pas ma nouvelle existence ou les gens qui m'entourent. Tant de gentillesse ! Je n'ai pas l'habitude que l'on me montre autant de prévenances. Avant, lorsque j'habitais  chez ma belle mère, c'était difficile ! Je travaillais beaucoup et on me traitait durement. Mais j'avais l'habitude d'organiser mon temps. Je n'avais que peu de moments de tranquillité, mais j'étais libre d'agir à ma guise. Ici au palais, je n'ai aucune autonomie ! Pas un seul instant où les autres ne décident pas ce que je dois dire ou faire ! Je ne décide de rien, je ne choisis même pas ce que je dois porter ou à quelle heure je dois aller me coucher ! Cela me pèse profondément et pour être honnête, bien que mes journées soient très remplies, je m'ennuie ! Tous ces bals, toutes ces réceptions ! J'ai l'impression que je suis réduite bêtement à sourire et à danser !»

    « Je crois comprendre ce que tu éprouve, dit la Fée-marraine lorsque Cendrillon se tut. Cependant, il serait ridicule de vouloir retrouver tes anciennes tâches ou retourner dans ta vielle maison. Tu es trop gentille pour être vindicative mais tout de même ! Tu n'as pas oublié si vite combien tu as souffert de la cruauté de tes demi-sœurs et de ta belle mère ! »

    Cendrillon hocha négativement la tête. La Fée-marraine poursuivit.

    « Il devrait y avoir un moyen de t'occuper différemment, mais je ne vois pas du tout comment ! »

    La Fée réfléchit longuement et au bout d'un moment qui parut interminable à Cendrillon elle dit : «  Je crois que j'ai une alternative à te proposer. Tu n'es pas obligée d'accepter tout de suite. Je ne peux changer le cours des événements et ta situation de Princesse ne te permet pas de négliger tes obligations à la cour au près du Prince. Quoi que tu fasses tu ne peux quitter ta place au palais. » Conclut-elle.

    Voyant la déception assombrir le joli visage de sa filleule et ajouta : « Néanmoins, un peu de magie devrait aider à te sortir d'affaire ! »

    En attendant ces propos, Cendrillon se réjouit.

    « Je vous adore marraine chérie !s'exclama-t-elle en la prenant dans ses bras et l'embrassant bruyamment sur les deux joues.

    -Pas si vite ! Ce ne sera qu'une solution provisoire, tu le sais ! Mais ça vaux le coup d'essayer. Voici mon idée. »

    La Fée marraine entreprit de raconter son plan à Cendrillon.

    « Je peux créer un avatar qui prendrait ta place au palais pendant que tu seras occupée ailleurs. Tu agirais à ta guise puis te reprendrais à nouveau ta place sans que personne ne soit jamais au courant. »

    La joie de Cendrillon fut si grande qu'elle se mit à virevolter autour de la pièce. « Comme cela semble excitant ! Je suis si impatiente que je ne pourrais pas attendre demain matin ! »

    « Prends garde Cendrillon ! Je ne suis qu'une Fée -marraine. Ma magie est limitée et mes sortilèges ne sont  pas permanents. Je ne peux accomplir ce tour de force que pour une courte période !

    « Oui, je comprends. »

    « Aussi, je dois t'avertir. Tu devras te débrouiller seule. Il faudra t'expédier à une autre époque afin d'éviter que tu te trouve face à ton avatar ou que vous vous retrouviez simultanément au même endroit ; car ça rendrez fou tout le monde ! »

    Ne voyant pas d'objection, Cendrillon acquiesça. Elles mirent en place les détails du plan. Enfin, la Fée-marraine sortit sa baguette magique, souhaita bonne chance à sa filleule et d'un tour savant, expédia Cendrillon dans notre monde.

     

  • Cendrillon et les talons aiguilles (1)

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    La chaleur atteignait son zénith et une agréable torpeur gagnait les habitants d'un  grand mûrier vert et feuillu où, depuis quelque temps, avait élu domicile un vieux, très vieux Bombyx. Midi venait de sonner et à cette heure de la journée tout paraissait silencieux et calme. Profitant de cette quiétude, le vieux Bombyx s'allongea à l'ombre d'une feuille épaisse et grasse s'apprêtant à faire une sieste pour profiter de la tranquillité de l'après-midi.

    «  Ah ! Que la vie est agréable lorsqu'on n'a aucune contrainte ou obligation excepté le souci de son propre bien-être !   Rien de tel qu'une bonne sieste pour recouvrer ses forces en attendant la fraîcheur de la soirée. Je pleins ceux qui sont obligés de travailler sous cette chaleur excessive ! » Pensa le vieux Bombyx et  ferma les yeux avec beaucoup  satisfaction.

    A peine eut-il le temps de se plonger dans le sommeil qu'un bruit désagréable se perturba le silence le tirant brusquement de sa somnolence. Au début, il ignora cette perturbation  intempestive et se contenta de rester immobile. Cependant, le bruit se réitéra. Contrarié, le vieux vers du mûrier se tourna de côté et essaya de se rendormir en vain.   A intervalles régulières le bruit persistait.  Intrigué,  il ouvrit les yeux et se redressa tant bien que mal sur son séant.

    « Sapristi ! N'y a-t-il plus moyen de dormir tranquille dans ce mûrier ? »  S'indigna notre ami. Qui s'avise de déranger un vieux vers en pleine sieste ? » Il regarda autour de lui, mais ne vit rien de particulier. Un long moment s'écoula.

    «  Hum ! se dit-il. J'ai peut-être imaginé la chose», et il s'installa encore une fois le plus confortablement possible sous le feuillage. Mais voilà que le bruit reprit  s'intensifiant et  force fut de se réveiller pour de bon. Il n'avait plus du tout sommeil. Sortant de son abri, le vieux Bombyx scruta l'alentour dressant l'oreille. Il s'avança  de quelques pas dans la branche un peu plus loin, tout en cherchant d'où pouvait provenir la cacophonie qui l'empêchait de se reposer quand tout à coup une grosse goutte vint s'écraser sur sa tête.

    « Se mettrait-il à pleuvoir sans nuage dans le ciel et par un soleil aussi radieux ? » s'étonna-t-il.

    Il leva les yeux. Sur une branche au-dessus de lui, mal caché parmi les feuilles du mûrier, se tenait une minuscule petite chenille qui n'avait pas plus de quelques semaines. Le Bombyx identifia là, la source de ses ennuis.

    « Hé ! C'est toi petite qui fais ce raffut et m'empêche de dormir ?  N'as-tu rien d'autre à faire que t'empêcher les personnes âgées de trouver un repos justement mérité ? Va donc jouer ailleurs ! » Dit-il courroucé.

    La petite chenille ne répliqua rien. Elle se mit à pleurer de plus belle. Ses sanglots étaient  à fendre le cœur d'une pierre et notre ami n'était pas de ceux qui restent insensibles à la détresse d'autrui.  Adouci devant tant de chagrin, le vieux Bombyx  monta sur la branche supérieure et s'assis ses côtés. De sa voix la plus douce et enjouée, il tenta de consoler la petite chenille.

    « Allons, allons ! Que se passe-t-il ? Qu'est-ce qui te fait tant pleurer ? Ne veux-tu pas confier à un vieux grand-père ce qui te cause tant de chagrin ? »

    -          Je... c'est... ma, ma grande... sœur, bredouilla l'enfant. Elle ne veut pas, me... me lire une histoire et elle s'est moqué de moi, parce que je ne sais pas encore...pas lire...

    -          Ha, ha ! Juste ça !?  Bien trop de chagrin pour pas grand' chose. Voyons ! Sèche tes larmes. Moi, je te raconterai une belle histoire si te le désires.

    Un grand sourire illumina le visage de la petite chenille qui oublia de pleurer et elle s'écria : «  C'est vrai ! ? Vous feriez ça pour moi ?

    -          Bien sur, mais pour le moment il fait trop chaud pour faire quoi que se soi. Rentre chez toi et dès que l'heure de la sieste sera passée reviens me trouver sous ma grande feuille et je te raconterai autant d'histoires que ton cœur peut désirer.

    -          Je pourrai venir avec mes amis ?

    -          Oui. Maintenant rentre chez toi. »

    Rassérénée, la petite chenille s'en alla toute réjouie à cette perspective et le vieux Bombyx regagna  son abri et se plongea, enfin, dans un court sommeil réparateur.  Deux heures plus tard, lorsqu'il se réveilla, il vit arriver la petite chenille accompagnée de sa sœur et de quelques autres enfants-vers du voisinage, enchantés d'écouter une des histoires du plus célèbre conteur du mûrier. Ils s'assirent respectueusement en cercle autour du vieux Bombyx et attendirent qu'il veuille prendre la parole. Flatté, le conteur prit son temps avant de se lancer. Il se racla la gorge.

    « D'abord, commença-t-il, je tiens à vous dire que j'ai horreur de l'impertinence. Vous ne devez donc pas m'interrompre à tout venant  en posant de questions incongrues. A vous de réfléchir et trouver des réponses satisfaisantes à vos interrogations.  Ensuite, vous le savez déjà, tout ce que je vous révèlerai est la stricte vérité vraie. Je l'ai vu de mes propres yeux lorsque j'étais encore jeune et je parcourais le monde. »

    Les enfants-vers du mûrier acquiescèrent et le récit débuta.

     

  • La Ville engloutie 26 (Le petit Chaperon II)

    Capitaine4.jpgEn entendant cette date, Iris et Phyllis sursautèrent. Le calcul était facile à faire. Si le Capitaine disait vrai, il devait avoir plus de deux cents ans ! A le regarder le Hollandais volant n'en paraissait que trente à peine. Quel était ce mystère ?

    - Cela vous étonne, j'en suis sûr, poursuivit le conteur. Vous pensez que j'ai perdu l'esprit, ou que je raconte n'importe quoi. Avant de tirer des conclusions hâtives, je vous demande de me croire sur parole. Les aventures que nous avons traversées ensemble vous convaincront que je ne dis pas de mensonges.

    Tous hochèrent affirmativement la tête. Aussi incroyable que cela pouvait sembler, le Capitaine venait d'une autre époque.

    - Poursuivez, je vous en prie, osa la maman du petit Chaperon rouge.

    - Merci, fit-il avec un léger sourire. Nous offrîmes des funérailles descentes à notre ami et je partageai ses maigres affaires personnelles entre mes compagnons comme le veut la coutume pour ceux qui périssent en mer. Puis, je donnai l'ordre de poursuivre notre route. Selon mes calculs, six jours plus tard, nous verrions se profiler les côtes françaises.  Le temps se calma, le soleil tardait ses rayons brûlants et la mer était d'huile.  Au début, je ne doutais pas d'arriver à bon port. Mais, les jours s'écoulèrent lentement, dans une extrème tension et je devais faire face au mécontantement de mon équipage.  Six jours après que nous avions essuyé la tempête, aucune terre ne se profila à l'horizon. Je refis mes calculs, persuadé que nous avions, dans la tempête dévié de notre route. J'ordonnai à mes hommes de virer de bord, les accusant de négligeance. Je les traitais durement, n'écoutant pas leurs protestations, persuadé de regagner bientôt l'Europe. Mon arrogance fut payé au prix fort.  Le désespoir gagna mes hommes. Nous redoublâmes d'efforts, et bien que cela en coûtait à mon orgueil, je demandai conseil aux plus anciens pour retrouver notre route. Une force invisible semblait nous ramener à notre point de départ, entre ciel et eaux. Quels que fussent nos efforts, mon équipage et moi ne pûment toucher terre qu'après des années d'errance. Durant des mois, nous errâmes sans but, incapables de nous diriger correctement. La mer fut notre territoire, les embruns notre quotidien et le sel marin s'infiltrait jusque dans le pain que nous mangions. J'ai su plus tard que mon navire était condamné à parcourir les mers sans repos. La première fois que nous touchâmes terre, nous tombâmes tous à genoux pour rendre grâce au Seigneur de Sa miséricorde. Mais la force invisible qui semblait gouverner désormais le navire et nos destinées, se mettait en oeuvre et une semaine à peine après être descendus sur terre, nous nous retrouvions à nouveau balottés par les lames des fonds. Ce calvaire durait depuis une éternité. Nous nous résignâmes à notre triste sort, et nous pensions être damnés pour toujours. Jusqu'au jour où, durant une de ces brèves escales qui nous rendaient le voyage encore plus amère, nous rencontrâmes Phyllis et ses compagnons.

    Le Capitaine cessa un instant son histoire et ses yeux se remplirent de nostalgie.

    - Je ne vous raconterais pas ce que vous connaissez déjà. Cependant, depuis lors, un vent nouveau souffla sur le vaisseau. L'air devint plus léger, plus réspirable. La mer plus facile à fendre à l'étrave, le soleil moins brûlant et plus chaleureux. Les côtes s'approchèrent, nous permirent de les accoster, de les visiter ! Mon équipage et moi-même n'osions y croire au début de peur d'être à nouveau victimes d'un mirage. Victimes de ces "fada morgana" qui se produisent parfois en haute mer. Jour après jour nous graignîmes de nous réveiller seuls sur notre vaisseau fanôme. Mais les mois passèrent et nous fîmes cap vers l'Europe. Et malgré le passage difficile de Douarnenez, nous touchâmes le sol béni de notre patrie par deux trois fois ! Nous arrivâmes enfin, en Hollande !

    Le Hollandais les regarda un à un à tour de rôle. Il sourit tristement. Puis, il leva le bras et montra d'un geste autour de lui.

    - Apparemment, le Seigneur a eu pitié de nous et nous a permis de regagner notre pays . Nous arrivons au bout de nos peines. Notre route s'achève comme elle a commencé.  Lentement, au fur et à mesure que les jours s'écoulent, les objets du navire retournent à la poussière où ils devaient y parvenir depuis pas mal de temps déjà. D'abord ce fut les petits objets, puis les vêtements, les meubles. Tout retourne au néant auquel il appartient. Bientôt, mes hommes et moi-même ne serons qu'un pâle reflet de ce que nous fûmes jusqu'à disparaître de la surface de la terre.

    Ce disant, il se leva et se plaça devant la lumière que diffusait une des lampes. Avec horreur l'assistance pu voir à travers le corps du Hollandais. Phyllis se mit à pleurer doucement, Iris serra fort Platon entre ses bras, et même le Cracheur de feu écrasa une larme qui menaçait de couler sur ses joues.

    - Ne soyez pas tristes mes amis, poursuivit le Capitaine. Notre fin ne doit pas vous chagriner. Au contraire ! Soyez heureux ! Car nos pauvres âmes torturées trouverons enfin le repos et tous ceux qui nous ont été chers et que nous n'aurions dû jamais quitter. La poursuite de notre existence fut une abomination. Grâce à ta gentillesse Phyllis, ta tendresse et ton optimisme nous goûtrons au repos. Nos fautes nous ont été pardonnées.

    Il s'approcha de la petite fille et maladroitement, la prit dans ses bras. Il déposa un baiser sur son front, puis alla serrer la main du Cracheur de feu et d'Iris.

    - Notre temps est proche. Cependant, il me reste encore quelque chose à faire avant de vous dire définitivement adieu, conclut-il. Retournez vous reposer pour l'instant. Demain nous verrons bien.